A/19 : De l'eau dans le gaz
On lui aurait arraché la langue plutôt que de lui faire avouer qu’il venait de perdre son travail. Cherchez pas, c’est comme ça de nos jours, on ne sait plus reconnaître les bons employés. Et s’il y avait un employé méritant chez MacSim, un à qui on aurait dû rendre les honneurs et pas le virer à coups de pied aux fesses, c’était bien lui, André Doniste.
Qu’est ce qu’il avait fait ? Il avait voulu donner une leçon à cette fille à papa de Mimi Rapat-Sité, débarquée avec sa bande pour demander des frites et se tirer sans payer, selon ses habitudes. Il avait cru malin de lui en donner pour son argent : des restes récupérés dans la poubelle. Manque de pot, pour une fois qu’elle voulait payer, elle s’en était rendue compte et avait fait un vrai scandale. Le patron l’avait licencié sur le champ. C’était pourtant ses intérêts qu’il défendait. C’était injuste, trop injuste !
Allongée sur le lit, Mandy attendait Joë. Il était vraiment trop gentil d’être allé raccompagner Miguel. Comment elle te l’aurait laissé cuver son champagne dans le jardin. Parce que c’était dans le jardin, affalé de tout son long, qu’ils avaient fini par le découvrir.- Enfin, le jardin… le terrain, derrière la maison. En attendant, c’était encore Joë le dindon de la farce.
Ah, quand même, il avait fini par rentrer. Il se tenait à l’autre bout du lit, l’air préoccupé. Elle l’interrogea.
- Alors, ça y est, il est rentré ?
- Oui, ça y est. Pauvre Laurène, elle n’a décidément pas de chance, il lui aura fait honte sur toute la ligne. Il sait pas se tenir, entre ses blagues salaces et sa cuite… si on avait dû lui faire une prise de sang je suis sûr qu’on aurait décelé plus d’alcool dans le sang que de sang dans l’alcool. Il joue avec sa santé, l’alcoolisme fait des ravages dans l’organisme, il ronge les cellules du foie, et puis…
- Bon, Joë, t’as l’intention de me faire un cours ? coupa Mandy. On est là pour autre chose, non ? Joë, ramené sans ménagement aux dures réalités de la vie, semblait plus préoccupé que jamais.
Après avoir goûté le silence épais qui s’était installé, Mandy se décida à crever l’abcès.
- Joë, qu’est ce qui se passe ? Tu veux que je m’en aille ? T’as pas envie, c’est ça ?
Il se récria
- Oh-non ! Non, Mandy, ne crois pas ça ! C’est juste que… ben j’ai peur de te décevoir, de ne pas me montrer à la hauteur.
Mandy laissa échapper un soupir de soulagement
- Ah, c’est pour ça ! Mais ne t’en fais donc pas, Joë, tout va très bien se passer, je suis sûre. Dire que c’était à elle de le rassurer. Il était pire qu’une jeune mariée !
Ils commencèrent par un câlin et Joë enivré par le doux parfum dont elle usait discrètement cessa de se poser des questions.
Le seul qui ne fut pas à la noce ce soir là, fut André. Il entendait les bruits étouffés, les rires, qui venaient de la chambre contiguë et ça le mettait de mauvais poil. Mettez-vous un peu à sa place.
- Silence ! cria-t-il, y en qui aimeraient bien dormir !
Le réveil fut dur pour Miguel. Il avait un de ces mal de crâne ! On aurait dit qu’une armée de bambins fêtaient leur anniversaire et que tout le monde y allait de sa crécelle.
- Bien dormi ? ironisa Vilma, t’étais dans un sale état hier soir.
- Si tu le dis… je me souviens de rien. Pourtant, je manque pas de mémoire d’habitude.
- D’habitude, t’as peut-être pas dix coupes de champagne dans le buffet, souligna Laurène, sortant de la salle de bain pour se laisser tomber lourdement sur le canapé.
NDLA : (J’adore cette tenue, des couleurs si seyantes… dire que je l’ai 3 fois sur quatre !).
Ma parole, elle le surveillait ! Ah-mais, il allait pas se laisser faire.
- Dix coupes ! Pourquoi pas vingt ? Tu vas pas me reprocher ce que je bois. C’était la fête, non ? Un enterrement de première classe, heureusement que j’étais là pour mettre l’ambiance.
Et Vilma à qui on n’avait rien demandé qui se croyait obligée d’en remettre une couche.
- Ah-ha, l’ambiance, parlons-en ! Tes blagues de l’armée qui font rire que toi et cette idée de forcer tout le monde à boire. T’avais juré de leur gâcher leur fête, ou quoi ?
Quoi ? Quoi ?? Elle remettait en cause son humour ? Heureusement, Laurène intervint Il lui lança un regard reconnaissant et la remercia en lui demandant des nouvelles de sa santé. Ouf, elle avait cessé de se plaindre. Noter ça sur mes tablettes : ne jamais lui demander comment ça va. On demande ça pour être poli et y en a qui croient vraiment que ça nous intéresse, se dit Miguel en prenant un repos non mérité dans le bain à remous. En tous cas, une chose de sûre, ils pourraient bien faire toutes les noces qu’ils voulaient, faudrait plus compter sur lui pour mettre l’ambiance. Il était trop mal récompensé. De l’autre côté de la rue, c’était l’effervescence. On ne parlait plus que du prochain mariage d’Abdoul et de Donna. Elle se tourna vers Joë Ah-mais non, mais non, c’était pas tout ce qui comptait. Et la robe blanche, alors ? Et l’alliance ? Et la fête ? Elle revint à la charge. - Qu’est ce que tu veux préparer, tu peux me le dire ? Regarde, Abdoul, il lui a pas fallu cent sept ans pour se décider. Hier, il était même pas fiancé. J’ai pas raison ? demanda-t-elle, prenant Abdoul à témoin. - Oui-ben, ça sera sans moi ! lança Mandy en se levant de table, ulcérée. Ce soir je retourne dormir là-bas, ça te donnera le temps de réfléchir. Et si demain t’es toujours pas décidé, moi, j'y resterai. Puisque Donna va s’en aller, je pourrai donner un coup de main à Laurène pour son bébé. D’ici que Vilma soit mariée avant moi… Mais qu’est ce qui lui avait pris de demander à réfléchir ? Il l’aimait, ça ne faisait pas de doute, alors pourquoi cette appréhension ? Pourquoi cette crainte de s’engager irrationnelle, presque viscérale ? Oh, y avait du Freudisme là-dessous, il allait falloir qu’il tire ça au clair, et vite !
- Vilma, mêle-toi de tes affaires. Miguel a fait ce qu’il a pu pour détendre l’atmosphère. Si y avait eu que ton André, on se serait ennuyés à crever. C’était l’éclate totale, non ? Alors, tu devrais le remercier au lieu de toujours critiquer.
- Comment tu te sens, ce matin ? Ca doit commencer à te peser.
- Si ça faisait que de commencer. J’ai l’impression d’avoir le ventre comme une barrique, en plus je dors mal, il fait que de bouger, je sais plus comment me mettre. Sur le dos, sur le côté, sur le ventre… je suis toujours mal. Du coup, je suis toujours fatiguée, je crois bien que je vais retourner me coucher, expliqua Laurène.
Abdoul leur avait annoncé la nouvelle dès son retour du travail.
- C’est décidé, demain, je me marie !
Mandy cachait mal sa déception. Elle espérait être la prochaine
- Donna est au courant ? se contenta-t-elle de demander
- Bien sûr, pour se marier, faut être deux ! D’ailleurs, on va faire ça, chez elle. Vous avez vu le décor pour le mariage de Jean-Paul ? Les voisins qui se tapent l’incruste, pas un poil d’arbre à l’horizon… Nan, je préfère aller chez vous… chez elle, je veux dire, parce que maintenant, tu es des nôtres, Mandy.
- Et nous, alors ? Quand est-ce qu’on se marie Joë ?
- T’es marrante, ça se fait pas comme ça. Faut programmer, analyser…
- Qu’est ce que y a à analyser ? On était bien d’accord, je me trompe ?
- J’ai pas dit que j’étais pas d’accord. Mais faut me laisser du temps, Mandy, rien ne presse. On est ensemble, non ? C’est tout ce qui compte.
Elle commençait à se demander si Donna n’avait pas raison de lui conseiller de réfléchir avant d’emménager chez les garçons. Et voilà, elle avait consommé le mariage avant les formalités, et plus rien ne pressait aux yeux de Joë.
- Bon Joë, je vois pas trente six solutions. Soit on se marie, soit je retourne vivre chez les filles. Si tu m’as fait venir juste pour m’avoir sous la main, on n’a plus rien à faire ensemble.
Joë tombait des nues.
- Mais… c’est pas la question, Mandy. C’est juste que j’avais pas pensé qu’il faudrait se décider si vite. Je suis pas un rapide, moi, j’aime bien tout maîtriser. Un mariage, je te l’ai dit, ça se prépare.
- Oh, mes enfants, comptez pas sur moi pour jouer les médiateurs, répondit Abdoul. Chacun voit midi à sa porte. Donna et moi, c’est une chose, vous c’en est une autre. Si Joë demande à réfléchir, j’ai pas à lui jeter la pierre. 
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