B4 : Donna essuie ses plâtres
En choisissant Donna pour l’accompagner sur le chemin semé d’embûches de la vie, Abdoul avait eu la main heureuse. Son sens des responsabilités, l’art de peser le pour et le contre, de le tempérer dans ses excès, en faisait l’épouse rêvée. Mais comment allait-elle supporter son ambition sans frein et ce besoin de paraître qui le menait ? En attendant, le couple vivait sa lune de miel. Ecoutons plutôt ce qu’elle en disait.
Score : fiançailles : 10, mariage : 10, fête : 3 + 23 points.
Je me souviendrai toute ma vie du jour où le taxi nous déposa devant notre maison, Abdoul et moi. "Notre maison", juste en face de celle de Jean-Paul et Sally, comme lorsque nous vivions les filles d’un côté et les garçons de l’autre. Nous n’aurions que la rue à traverser pour retrouver nos amis.
- Pas trop déçue, madame Lefric ? me demanda Abdoul
Déçue, moi ? Du moment que j’étais avec lui, une masure m’aurait contentée. Mais c’était loin d’être le cas. Quelle jolie petite maison il avait trouvé là. Pourtant, il n’en était pas satisfait.
- Pour une maison de lotissement, elle a de l’allure, mais va falloir y faire pas mal de travaux.
Je m’affolai
- Ca peut peut-être attendre, Abdoul ?
Il ne voulut rien entendre.
- Nan Donna, je t’assure que c’est pas du luxe. Quand je l’ai visitée, j’ai tout de suite vu que c’était pas logeable. Combien d’argent avons-nous ?
Nous avions décidé que je tiendrai les cordons de la bourse, Abdoul était un panier percé, je m’en étais déjà rendue compte, même avant notre voyage de noces.
- Quelque chose dans les 5 000 $,
- A la bonne heure ! On fait les travaux tout de suite et on pose nos valises, déclara-t-il.
Les agrandissements terminés, il m’a portée dans ses bras, selon la tradition.
- Et maintenant, madame Lefric, que la fête commence !
J’adore notre petite cuisine qui a pris place dans l’entrée. Abdoul avait tout étudié et il avait tenu à faire installer une salle d’eau au rez de chaussée.
- Je t’assure que c’est plus qu’utile, c’est indispensable. Tu nous vois grimper à l’étage 4 à 4 chaque fois qu’on aura envie de pisser ?
J’ai défait les valises… enfin « la » valise, et je me suis mise à cuisiner, ma manière de m’approprier la maison.
En tant que chargée des finances, j’alertai
- Je te préviens, les fonds sont en baisse, si on dépense à ce rythme là, on pourra bientôt aller mendier dans les rues.
- T’inquiète pas pour ça, j’ai ma petite idée, m’a répondu Abdoul.
Je me demande ce qu’il entend par là. Bien sûr, on a planté un arbre à sous, mais c’est de petit rapport. Heureusement, les filles nous ont offert la Smoogo, en cas de nécessité, on pourra toujours la revendre.
Mon mari est un homme charmant, gentil, agréable, plein de prévenances. Il n’hésite pas à débarrasser la table, à donner un coup de main pour la vaisselle. Quand je pense à Laurène, la pauvre... je n’aurais jamais supporté un homme comme Miguel. Je me demande si leur bébé est né.
Abdoul me tira de ma rêverie
- Bon Donna, faut que j’aille bosser, j’ai deux gros clients sur le feu, et je voudrais saluer Jean-Paul et Sally avant.
- Tu pars déjà, mon amour ? dis-je en lui caressant la joue, reviens-moi vite, la journée va me sembler bien longue.
- Et à moi, donc ! Je t’assure que j’aurais mille fois préféré rester avec toi aujourd’hui, mais les affaires n’attendent pas.
Je comprenais. Il allait nous falloir de l’argent pour finir de meubler la maison.
- Ne t’en fais pas, je trouverai bien à m’occuper, lui assurai-je. A ce soir, mon chéri.
Il voulut m’embrasser langoureusement, mais je le poussai dehors après un simple baiser. Je savais trop bien où ça risquait de nous mener et la séparation serait trop difficile à supporter.
En fait, la journée a passé plus vite que je ne pensais, car j’ai eu de la visite : Gilbert Jaquet, sa mère Denise et Laure Richissim, une américaine excentrique.
- Vous connaissez Sally et Jean-Paul Pullaire, vos voisins ? m’a demandé Laure
- Je pense bien ! Ce sont de grands amis. Pourquoi, ils vous intéressent ?
- Nous sommes allés leur rendre visite hier, mon mari et moi. Elle prononçait, mon « mèri », je n’ai pas compris pourquoi Gilbert pouffait dans son assiette.
Il se ressaisit pour faire un gros clin d’œil à Denise
- Laure est une artiste, elle peint, n’est ce pas, maman ?
- Tu sais ce que je pense de ça, Gilbert : La peinture, c’est pas un métier. Si son « ami » n’était pas si riche, elle pourrait mendier sous les ponts. Le commerce, y a que ça de vrai.
J’étais gênée pour la pauvre Laure. Elle se défendit comme elle put
- Je suis assez connue aux USA, j’expose dans des galeries de peinture.
- Oui-mais, ici, on est à Simstates, pas aux States, et ici, votre peinture ça vaut pas tripette, insista Denise.
Ils me fatiguaient. Je les trouvais vraiment mal élevés mais je ne savais pas comment m’en dépêtrer. D’autant que Gilbert s’était installé sur notre canapé et me cuisinait
- Vous vivez seule ?
- Non, mon mari est au travail, vous l’avez manqué de peu.
- Il fait quoi ? -Si c’est pas indiscret.
- Il est responsable junior, il travaille dans les affaires, l’informai-je.
- Ah, les affaires ! C’est pas un mauvais filon, lâcha-t-il. Et vous, Donna ? Vous travaillez ?
J’avais pris un petit job de mascotte sportive, mais je ne jugeai pas utile de lui en parler. Je mentis
- Non, je suis femme au foyer… et fière de l’être, ajoutai-je pour couper court à la discussion.
- J’ai vu que vous aviez un jacuzzi, dans le jardin. Vous permettez qu’on l’utilise ? Il fait une chaleur pas possible,
Je permis. Tout plutôt que de continuer à subir son feu de questions.
Quand Abdoul rentra du travail, ils y trempaient toujours. Moi, j’en avais profité pour faire un peu d’exercice et apprendre une nouvelle recette de cuisine. La cuisine, c’est mon dada, j’adore tester de nouveaux plats.
- Qui c’est, ceux-là ? me demanda Abdoul
- Oh, des casse-pieds ! Impossible de m’en débarrasser, ils voulaient absolument faire ta connaissance.
- Ah oui ? Heureusement qu’ils m’ont pas vu, alors ! Je me suis pas pressé de rentrer pour me taper des emmerdeurs. Je pensais retrouver ma petite femme et qu’on aurait pu se faire un petit câlin. Au fait, je suis passé voir Jean-Paul. Sally a dit qu’elle viendrait te voir.
Il m’aida à débarrasser. On apercevait les casse-pieds par la fenêtre On est monté en riant comme deux gamins qui auraient fait un mauvais coup et on s’est allongés sur le lit. C’était le moment de poser la question qui me tracassait Nous ne nous sommes même pas levés pour prendre congé de nos pique-assiettes. Pendant la nuit, j’ai entendu un bruit bizarre, on aurait dit des rotatives. J’ai ouvert un œil et j’aperçus Abdoul devant une drôle de machine. Mais un peu plus tard, nous avons eu la visite de la police. Mon Abdoul… j’ose à peine le dire. Abdoul avait essayé de fabriquer de faux billets. Quelle honte ! Faut-il qu’il aime l’argent ! J’espère que l’amende de 1 000 $ qu’il a reçue lui aura fait passer le goût d’être malhonnête.
- J’ai l’impression qu’ils sont encore là pour un moment, c’est fichu pour le câlin, regrettai-je.
- Ca, c’est ce que tu crois, dit Abdoul. On les laisse mariner dans leur bain, on ferme la porte et ils viendront pas nous trouver là-haut.
- Dis, Abdoul, on essaye de le faire ce bébé ?
J’appréhendai sa réponse, il y avait tellement de bonnes raisons pour attendre un peu : le manque d’argent, le manque de place, les plaisirs de la vie à deux que nous commencions tout juste à connaître. Mais Abdoul fut merveilleux.
- Ca te ferait tellement plaisir Donna ?
- J’en rêve ! Un petit bébé, « notre » bébé,
- Alors, c’est OK, viens-là, on a assez perdu de temps.
- Qu’est ce que tu fais ?
- T’inquiète, mamour, je travaille pour nous !
Sur le coup, j’étais si fatiguée que j’ai pas réagi. Je lui ai juste recommandé de ne pas faire trop de bruit.