C/6 : Prenez-en de la graine !
Angie, fallait pas trop s’en plaindre, elle était plutôt de bonne composition comme gamine. Mais qu’est ce qu’elle pouvait lui pomper l’air quand elle s’y mettait. C’était bien de la graine de bonne femme, tiens ! Fallait toujours que ça pose des questions auxquelles on a pas la réponse :
-Eh papa… pourquoi qu’on a pas de petit frère ? Eh papa… pourquoi que maman elle dort sur son assiette ? C’est pas un oreiller l’assiette, hein papa ? Et papa… pourquoi que tu travailles pas dans l’armée ? J’ai des copines à l’école, leur père il travaille dans l’armée, il gagne plein de sous et elles ont une chambre rien que pour elles. Pour-elles-toutes-seules, qu’elle souligne, des fois que je serais bouché comme mes chiottes. -Dire que va encore falloir les attaquer à la ventouse avant d’aller au boulot !-.
Nan, je vous jure, c’est pas de la tarte le métier de parent. Le seul moment où on respire, c’est quand les mômes sont à l’école. Les ceux qu’ont inventé l’école, tiens, mériteraient d’être décorés. En plus, Angie, elle aime bien ça l’école. Elle est toujours prête à grimper dans le bus de ramassage dès qu’il se pointe au bout de la rue. Une heure avant l’heure des fois, et des fois, même, elle prend même pas le temps d’avaler son déjeuner. Vous me direz… ça fait des économies. Parce qu’en plus, ils les nourrissent, à l’école ! Bon, ça vaut peut-être pas l’omelette maison, mais ça cale.
En parlant d’omelette… elle devient de plus en plus feignasse, la Laurène. Rien que pour pas faire la cuisine, elle se fait livrer des pizzas. Nan-mais, je vous jure ! Elle voulait une nounou, elle l’a eue, maintenant, elle me tanne pour avoir une bonne. Mais pour la bonne, elle peut toujours espérer. A quoi ça servirait la bonne, puisqu’on a Angie, je vous le demande.
Angie, elle adore faire le ménage. Elle veut que ça brille, que ça reluise. Doit trop regarder les pubs de détergents à la télé. Plus blanc que blanc… enfin, si ça lui fait plaisir, faut surtout pas la contrarier. Je sais pas de qui elle tient sa manie du ménage… en tous cas, pas de moi !
Je me demande quand même… l’autre jour, je suis rentré du boulot direct, -sans passer dire bonjour aux copains-, et j’ai trouvé ma Laurène en grande conversation avec le livreur de pizzas. Il me déplaît celui-là, je vous le dis tout de suite.
- Ma qué, ouna bella dona commé vous, qué c’est malheureux qué lé mari il est yamais là. A laquella hora qué rentrait lé mari, déyà ?
- Il est rentré, le mari, connard ! que je lui ai lancé, au livreur. Il a pas attendu le pourboire, il a ripé vite-fait, je peux vous le dire.
C’est pas que j’ai pas confiance en Laurène, mais, les dragueurs, je les renifle à 100 mètres. Et Laurène, elle vaut pas plus cher qu’une autre, suffit qu’on lui fasse un compliment, ça y est, elle est prête à se pâmer. J’aimerais pas beaucoup retrouver des miettes de pizza dans mon lit... Ca gratte !
TAAAIIINNN ! Vont jamais se décider à grandir, les jumelles ? Y en a MARRE de leur apprendre le pot ! Croyez que j’ai que ça à faire ? Nan-mais ça fait durer le plaisir, ça apprend pas vite rien que pour qu’on s’occupe d’elles. Si encore on pouvait leur faire avaler du lait fluoré. C’est super ça, comme invention : tu leur en colles un biberon, elles t’apprennent le pot, la marche et le langage dans la foulée. Si-si, les copains me l’ont dit. Seul problème, faut que toi, tu soies de super bonne humeur quand tu rentres du boulot crevé, autrement le biberon, c’est pas vert-fluo qu’il est, c’est rouge-tomate. Comment je le sais ? Je sais ! J’ai testé. J’ai pas eu le cœur de les forcer à avaler la mixture.
C’est pas qu’elles sont pas mignonnes, les petites, mais elles me saoulent ! Je sais pas à quoi ils pensent les constructeurs de jouets. Pourraient pas inventer des jeux éducatifs silencieux ? Entre Jenny et son lapin qui papote comme une concierge… j’ai bien cherché où ils avaient planqué la pile, mais doivent lui avoir collé une puce électronique et accroche-toi pour trouver la puce. Entre elle donc, et Wendy qui se prend pour Beethoven –Nan, pas Mozart, Beethoven… ça s’entend bien qu’il était sourd. Lui, peut-être, mais pas nous !
Enfin tout ça pour dire, que je suis un peu comme Angie : presque content d’aller au boulot. Pendant ce temps là, je me repose. L’autre fois, je tapais de la gueule avec mon pote Bébert la cloche, et voilà-t-y pas que la machine à glace se remet à déconner. Je cherche dans ma poche un morceau de chewing-gum pour réparer… Rien, nada ! C’est vrai que depuis que je me suis remis à fumer, je mâche moins de chewing-gum. Je cherche sous le comptoir… les vaches ! Z’avaient fait le ménage ! TOUS mes chewing-gums collés avaient disparu.
- T’as qu’à essayer avec du scotch, qu’il me dit Bébert.
- Du scotch ! N’importe quoi ! Ca va me péter au nez, je lui réponds. Et puis… et puis, je me suis souvenu d’un téléfilm que j’avais vu : X-men, bricoleurs de l’extrême. Bon, eux c’était pas vraiment du scotch qu’ils avaient, mais c’était un truc qui colle pareil. Je te l’ai bardée de scotch, la machine, on aurait dit une momie. Et ça a tenu, dis-donc ! Après, je me suis félicité de m’être remis à fumer, parce que je me suis rappelé que la dernière fois qu’on avait eu le coup, le chewing-gum, ça avait pas été super-efficace et que le patron m’avait mis à la porte. Ca sert l’expérience professionnelle, des fois.
Ce coup-ci, le patron était tellement heureux que la machine remarche, -même sur trois pattes-, qu’il m’a offert une promotion. Hum, vendeur de magasin de disques, pour quelqu’un qu’aspire au calme, c’est pas vraiment le pied. Mais j’ai réfléchi que j’allais devoir acheter de nouveaux lits, et peut-être même des nouveaux vêtements, des fois que l’Administration se ficherait de nous une fois de plus. Alors, j’ai accepté. Une prime de 504 $ ça se refuse pas.
Houla, qu’il avait eu le nez creux d’accepter cette promotion, car le soir même, Laurène décidait d’accoucher. Forcément, l’avait encore fallu qu’elle rameute le banc et l’arrière du banc.
Je me suis pas pressé d’aller voir à quoi ressemblait le moutard. J’avais le palpitant qui faisait des bonds et s’agirait pas de mourir d’un crise cardiaque à mon âge. Je me suis contenté de lancer de loin
- C’est un garçon, j’espère ?!
Laurène est arrivée et m’a collé le bébé dans les bras en me disant
- Nan, c’est encore une fille. Tu lui trouveras un prénom, moi je suis à court d’idées. Et elle m’a planté dans la cuisine pour aller se refaire une beauté. Enfin, je crois, parce que vu le temps qu’elle a passé dans la salle de bain… en tous cas, moi j’étais bien déçu. Encore une fille, c’est quand même pas normal, ça ! Z’allez pas me dire qu’il est cassé, le moule à gars ?!
Quand ENFIN, elle est ressortie, j’avais toujours pas trouvé de prénom. A vrai dire, j’avais pas cherché beaucoup non plus. J’en ai rien à faire du prénom, c’est une fille ! Elle peut bien s’appeler comme elle veut ça restera toujours une fille. Je suis maudit ! - QUOI ?! T’as pas trouvé de prénom ? Mais faut lui trouver un prénom, on va quand même pas l’appeler « pouponne ». Et elle se prenait la tête à deux mains en répétant C’est Angie qui nous a sauvés. Pourquoi qu’on l’appellerait pas Helga, hein, maman ? Y a une fille qui s’appelle comme ça dans ma classe. Fallait qu’on parle, Laurène et moi. On s’est enfermés dans notre chambre pour être peinards. Même pas le temps de répondre que si on bouffait un peu moins de pizzas, j’en serais pas là, Angie nous appelait dans la cuisine Le temps qu’elle aille se repeigner, Wendy grandissait à son tour. Vilma réfléchissait en se servant un petit café. - Au fait, j’ai acheté de nouveaux vêtements. Je monte les chercher. Elle aurait dû s’en douter. Elle avait toujours su qu’il n’avait aucun goût. Mais tout de même… un tablier ! Personne ne porte plus de tablier depuis des lustres. Devant son manque d’enthousiasme manifeste à enfiler le dit tablier, André avait fini par lâcher. D’un autre côté, le tablier, ça pouvait s’avérer utile quand il s’agissait de laver les chiens. Elle avait pourtant juré qu’elle ne s’en occuperait jamais, mais, elle avait une bonne raison : Puisque le mal était fait et que les deux molosses étaient là, autant qu’ils soient utiles à quelque chose. Garder la poubelle, c’était pas du boulot. Nan, elle avait lu des petites annonces dans le journal : on demandait des chiens pour assurer la sécurité dans les grandes surfaces et d’autres pour jouer les doublures dans le remake de Rintintin. C’était décidé, Thor et Karma iraient travailler et elle, elle pourrait respirer. Quand elle lui avait annoncé qu’elle avait pris cette décision, André avait poussé les hauts cris Concernant son propre costume, André avait eu la main plus heureuse. Cet ensemble l’avantageait. Vilma lui en fit compliment
Ah-mais Laurène, ça faisait pas du tout son affaire
- Il a pas trouvé de prénom. Mama mia, mais qu’est ce qu’on va devenir ?
« Mama mia », z’avez remarqué ? Ooooh, commence à me plaire, l’Italien !
Pourquoi pas ? On avait pas mieux, de toute façon.
- T’as pas l’air content Miguel. J’y peux rien moi, si c’est une fille. Le prochain, ça sera peut-être un gars.
Le prochain ?! Nan-mais, et si c’était encore une fille ? Vous me voyez, vous, avec cinq filles ? J’hésitais, vous me comprendrez.
- En tous cas, si on s’arrête là, sûr qu’on aura jamais de garçon, qu’elle m’a dit.
Elle avait pas tort, alors… alors, je me suis laissé faire. Et vous savez ce qu’elle m’a sorti, après ?
- Dis-donc, Miguel, c’est toi qui vas le porter celui-là ? Me semble que t’as pris du bide.
- Papa, maman, y a Jenny qu’arrête pas de se tortiller, ça fait bizarre !
La première jumelle, venait de grandir sans crier gare.
C’est moi qui étais bien content. Finies les corvées d’apprentissage, elles allaient pouvoir aller aux chiottes toutes seules, se lever toutes seules, marcher toutes seules, parler toutes seules. Être autonomes, quoi ! Pfffiou, un moment j’ai bien cru que l’heure de la délivrance arriverait jamais à sonner.
Nan-mais, qu’est ce qu’il se figurait, André ? Qu’elle allait porter cette… est ce qu’on pouvait seulement appeler ça une robe ? Un sac, oui !
Quand, à leur retour de l’anniversaire, il lui avait annoncé,
Elle s’était attendue à tout… à tout, mais pas à ça.
- Tu seras pas obligée de le porter tout le temps. Juste pour être à la maison.
Oui-ben, même pour être à la maison, sûr qu’elle le porterait pas tout le temps. Déjà beau qu’elle accepte de le porter, histoire de dire qu’il avait pas fait de frais pour rien. Il avait l’air si fier de lui en lui présentant le vêtement.
- J’ai eu du mal à le trouver, ils ont dû aller me le chercher dans la réserve.
Tu m’étonnes !
- Mais enfin, Vilma, t’es pas folle ? QUI gardera la poubelle pendant ce temps là ?
- Elle se gardera bien toute seule ! avait-elle répliqué. Mais elle avait ajouté, en voyant que décidément, il en faisait une maladie de sa poubelle, qu’elle aurait le temps de la surveiller puisqu’elle serait en congés de maternité.
- Tu vois, quand tu veux !
- Moui, tu le trouves bien ? Je savais pas trop quoi prendre, j’ai fait confiance à la vendeuse.
Vilma songea qu’il aurait bien dû faire pareil en ce qui la concernait. Nan-mais, c’était vraiment la honte ce tablier !
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