C/10 : Une nouvelle affaire de poids
Miguel était bien déçu, lui qui se voyait déjà rentrer chez lui avec un gros toutou qui donne la papatte. C’est les filles qu’auraient été contentes. -Laurène moins, bien sûr, mais Laurène, hein… l’aurait bien été obligée de s’y faire. Est ce que Vilma avait dit quelque chose quand André en avait ramené deux ? Alors, il pourrait toujours lui mettre ça dans les pattes. Enfin, il « aurait pu » parce que… Tain quel enfoiré, cet André ! 4500 $ qu’il voulait lui vendre son clébard ! Mais s’il avait 4500$ à foutre en l’air, c’est pas en scooter qu’il roulerait, même pas en Smoogo – La Smoogo
En Parlant de Laurène, elle avait bien de la veine, elle. Elle avait pas pris un gramme avec sa dernière grossesse. Même qu’à la regarder aller-venir sans se traîner comme un gros tas, ça y avait, comme qui dirait, fait pas mal d’effet hier soir. Il était là, à attendre qu’elle vienne se coucher… penses-tu ! Ca c’était bon avant. Quand fallait presque se forcer et faire défiler dans sa tête toutes les nanas qu’avaient tordu du nez sur lui au bazar Rapidos.
Nan-mais, elle le faisait exprès, c’était pas possible autrement. Elle l’avait pourtant bien vu, allongé sur le plumard à regarder les mouches au plafond en se roulant les pouces. Elle croyait qu’il attendait qui ? Le Messie ?! L’avait fallu qu’il aille demander. Et la Laurène Quoi, le bide ? Quoi, le bide ?! Ouais-bon, il avait peut-être pris un peu de ventre, mais c’est normal pour un homme, passé la trentaine. C’est pas comme s’il perdait ses cheveux. Et puis-hein, si elle lui servait pas que du bourre-cochon, aussi ! Des nouilles, des péteux, des pizzas… tiens-oui, des pizzas. Qu’est ce qu’elle avait à en acheter des wagons ? On y avait refilé une carte de fidélité ou elle jouait à la bataille d’oreillers avec le livreur ? C’est pour ça qu’il avait enfilé un survêt’ tout neuf aujourd’hui, bien décidé à retrouver sa taille de jeune homme. Mais…Tain, y avait du boulot ! Elle se rendait pas compte, Laurène. Dire qu’il avait prévu d’aller rendre visite à son pote Jean-Paul après le taf et au lieu de ça, il se retrouvait dans l’entrée comme un con, à faire des flexions devant le transistor. Passqu’on avait pas les moyens de s’offrir un banc de musculation qui coûte 4/5 jours de salaire ici. Y avait de la bouche à nourrir ! Vous croyez qu’elles seraient reconnaissantes pour tout le mal qu’il se donnait pour qu’ils aient pas l’air de moins que les autres ? Naaan, pour elles c’était NORMAL ! Toujours à réclamer des trucs et des machins qu’on s’en passerait bien, alors qu’il avait même pas les moyens de se payer un appareil de musculation et encore moins une voiture. la Jenny Et l’autre : - MÔMAAAN, y a papa qui fait l’andouille dans la baignoire. On peut même pas aller faire pipi ! Fallait que ça change ! - Ben va falloir aménager l’étage. A six dans une salle de bain, c’est plus possible. - Tssst ! - Quoi Tssst ? T’es pas d’accord, Laurène ? C’est pas une bonne fille, Angie ? Elle m’a remis ça une fois dans notre chambre : Elle en profite ! Je vous jure qu’elle en profite. Et puis c’est quoi, ce potin ? Les filles c’est pas bientôt fini la discute ? Si vous êtes pas raisonnables, fini la chambre du haut ! Vous reviendrez dormir à côté de nous avec Helga. ********* Je mange, je mange, qu’est ce que je dévore, j’arrête pas ! Depuis l’anniversaire de Chloé, c’est bien simple : je passe ma vie à bouffer. Bouffer/dormir, dormir/bouffer. Avec tout ce que j’avale, je devrais peser une tonne. Ben non, je prends pas un gramme ! Heureusement que je peux compter sur Cécile pour ce qui est de s’occuper de Chloé, je suis complètement dépassée. Remarquez, j’oublie pas de la récompenser, je voudrais pas qu’elle me lâche. Elle se fait un peu tirer l’oreille pour la forme. - Vous croyez ? Vous croyez que c’est ça ? Mais quand même… je me demande… c’est peut-être autre chose ? J’ai peut-être attrapé cette saleté de maladie inconnue. Même la bonne trouve que j’ai mauvaise mine. Elle me le disait encore ce matin. Cécile m’abreuve de conseils. Elle a gagné ! J’ai fini par en parler à Jean-Paul. Le pauvre, je l’ai complètement affolé. Cécile a dû le réconforter **********
- Bon sang, Laurène, qu’est ce tu fous ? Tu te couches pas aujourd’hui ? T’es pas fatiguée de ta journée, toi ?
Voyait pas trop ce que venait faire la brioche là-dedans. Quoi ? Z’étaient pas bonnes les brioches des filles ? Ben, elle avait qu’à faire comme lui, l’était pas obligée d’en manger.
Alors, elle lui avait mis les points sur les « i » :
- Je parle pas des brioches cramées des filles, je parle de TA brioche. T’as pas vu le bide que tu te payes ?
Il avait haussé le ton et Laurène s’était récriée :
- Vas pas me chercher des excuses bidon. T’as pris du bide parce que tu fais AUCUN exercice. Tu te laisses complètement aller ! T’as qu’à te regarder dans une glace, on dirait que tu vas accoucher. T’aimes pas les grosses, tu me l’as assez répété. Hé-ben moi, le bonhomme Michelin, ça m’inspire pas. Et elle était allée se coucher en claquant la porte.
- Môman, y a papa qui bouche l’entrée, tu peux pas lui dire de se pousser ? On peut même pas aller jouer dans notre chambre.
- C’est vrai ça, Miguel, tu peux pas faire ça ailleurs ? Tu vois pas que tu prends toute la place, là ?
Taiiiin,
- VAS FAIRE TES DEVOIRS !
- Tu pourrais lui demander ça plus gentiment, Miguel. Déjà que faire les devoirs, c’est la corvée, si en plus tu lui cries dessus, tu te plaindras pas si elle les bâcle. Y a qu’à la laisser jouer un peu, elle a besoin de se distraire cette gamine.
Se distraire ! Elle en a de bonnes ! Est ce que je me distrais, moi ?! Elle croit que ça m’amuse de faire le pantin dans la cuisine avec cette odeur de cuistance qui me chatouille les naseaux ?
- Qu’est-ce qu’on bouffe ce soir ?
- Des spaghettis à l’italienne
- ENCORE des nouilles !! Tu veux ma mort ? Et pourquoi à l’italienne ? Pourquoi pas du gratin de macaronis DE CHEZ NOUS ?! Tain, j’en ai ma claque, je vais prendre mon bain.
Purééée ! Mais elle me cherche !
- Je t’avais pas dit d’aller faire tes devoirs, toi ?!
- Oui-mais, j’ai envie de faire pipi. J’ai bien le droit de faire pipi, quand même ! Hein môman, que j’ai le droit de faire pipi ?
- Bon, alors Laurène, ça peut plus durer. Combien qu’on a sur le livret de l’écureuil ?
- Je sais pas moi, (compte sur ses doigts)… pas des masses, pourquoi ?
- Oui-mais, si t’y restais pas une heure, aussi…
- Toi, Jenny, on t’a pas sonnée. Je parle à ta mère ! Et les devoirs, ils sont faits ?
- Heu…
- VAS FAIRE TES DEVOIRS !! Nan-mais c’est pas vrai ! Elle a juré de me rendre marteau, cette gamine.
- Moi, les miens, ils sont faits depuis longtemps, papa.
- C’est bien Angie. Toi au moins, t’es une bonne fille.
- Je suis pas une bonne fille, maman ?
- Meuh-oui, t’es mignonne. Seulement tu sais, Angie, -je dirai pas que t’as aucun mérite-, mais toi, t’aimes l’école. Les jumelles c’est autre chose. Tout le monde a pas la bosse des maths. Faudrait que tu les aides un peu pour les devoirs, Miguel.
- Et puis quoi encore ?! Tu trouves que j’en fais pas assez dans cette maison ? J’en ai marre, d’être l’homme à tout faire. T’as qu’à les aider toi, t’occuper des filles, c’est TON boulot !
- Miguel, exagère pas avec Jenny, tu peux pas la souffrir, c’est visible.
- N’importe quoi ! C’est ELLE qu’arrête pas de me chercher. C’est quand même pas la lune de faire ses devoirs. Comment ils font les orphelins ? Sont bien obligés de les faire tout seuls.
- Oui-ben, elle est pas orpheline ! Elle a un père qui pense qu’à la rembarrer et une mère noyée sous les couches et les biberons.
L’occasion était trop belle :
- Je m’en occuperai… si j’ai droit au petit câlin auquel j’aspire depuis hier soir.
- Si tu te mets à poser des conditions, moi aussi, je vais en poser : T’auras droit à ton câlin si tu donnes son biberon à Helga. Sinon, tintin !
Z’avez déjà vu ça, un chantage pareil ? Y a que chez nous qu’on voit des trucs comme ça ! Elle a de la veine que je sois en manque sinon… t’aurais vu si c’est moi qu’aurais été obligé de me les cailler dans la cuisine, en caleçon, pour nourrir le numéro quatre. Et dire qu’y en a un autre en route ! Ca va pas aller en s’arrangeant notre affaire.
C’est pas vrai, ça ! Nan-mais on a encore été trop bons : On te leur a aménagé cette chambre comme on pouvait et elles en profitent pour faire la foire. On aurait mieux fait de garder nos simflouzes pour acheter des trucs utiles : Une chaîne hi-fi avec des baffles grandes comme ça, un home-cinéma, une VRAIE voiture, un bain à remous… c’est pas les idées qui manquent, c’est côté finances que ça pêche.
- Oh, mais faut pas ! Je fais que mon travail !
Je suis obligée d’insister :
- Si-si, Cécile, vous l’avez bien mérité. Qu’est ce que je deviendrais sans vous ? Je suis bonne à rien.
Elle me réconforte comme elle peut :
- Faut pas dire ça, madame Sally, vous traversez une mauvaise passe, ça peut arriver à tout le monde. Quand le petit sera là, vous irez mieux, vous verrez.
- Meuh bien sûr, que c’est ça ! Je les connais les symptômes de la grossesse, allez !
Je sais qu’elle a de l’expérience, et je voudrais bien la croire, mais les symptômes, je croyais les connaître aussi et là… pas une nausée, pas le moindre ventre, j’ai peur de me faire des idées. Y a juste que j’arrête pas de manger et que je me sens si fatiguée.
Cécile est catégorique :
- Pas de nausées ? C’est des choses qui arrivent. Priez le ciel pour que ça dure ! Et pour le ventre, on en reparlera. D’habitude, les futures mamans trouvent que ça se voit trop vite, et surtout trop longtemps. Vous grossirez bien assez tôt, allez !
- Ca a pas l’air d’aller bien fort, madame Pullaire. Et quand je dis pas bien fort… je pèse mes mots. Vous avez une de ces têtes ! Je serais vous, je ferais venir le docteur.
- Oui-bon, ça va, Kérine !
C’est qu’elle finirait par me faire peur !
- Vous devriez en parler à votre mari.
- Jean-Paul ? Et je lui dirais quoi ? Que j’arrête pas de vider le frigo ? Vous croyez qu’il a pas assez de soucis avec la campagne électorale ?
- Que vous vous faites des idées, que vous êtes toute triste, alors que vous devriez être heureuse d’attendre un bébé.
- « SI » j’attends un bébé ! Pour le moment, rien ne le dit… à part vous.
Rien ne la démonte :
- A part moi, mais moi, je sais ce que je dis ! Rhalala, si vous saviez le nombre de futures maman que j’ai connues. Elles se posent toutes la même question : « Est ce que je serais pas enceinte ? » Et vous, vous voulez pas l’admettre.
- Jean-Paul, ça va pas, je suis malade ! J’ai faim ! J’ai faim toute la journée ! J’avalerais n’importe quoi, un jambon entier me ferait pas peur. Et si y avait que ça… en plus je suis complètement crevée, j’ai même pas la force de m’occuper de Chloé. Tu vois, là, je monte me coucher. Je suis bonne qu’à ça, de toutes façons !
Et je l’ai laissé dans la cuisine.
- Qu’est ce qu’elle a ? Je l’avais jamais vue comme ça.
- Elle a qu’elle attend un bébé, mais elle veut pas l’admettre. Elle préfère penser qu’elle a attrapé le virus de la maladie inconnue.
- QUELLE maladie inconnue ?! D’où elle a entendu parler de cette maladie, si elle est inconnue ?
- Sur le journal, pardi ! Ils arrêtent pas de nous bassiner avec ça. D’après eux, dans certains quartiers, c’est une véritable épidémie. Vous lisez jamais le journal ? Et puis, la télé s’en est mêlée, -quand ils savent pas quoi raconter, ils en inventent. Maladie inconnue, je t’en fiche ! Elle attend un bébé, point final. J’en mettrais ma main à couper.