C/16 : Et le temps passe…
- Rha, Sally ! Dépêche-toi un peu, je vais me mettre en retard pour le travail. C’est pourtant pas le moment : Il est question de me confier la responsabilité de la campagne pour les élections, m’a lancé Jean-Paul alors que j’étais installée sur le trône. Mais qu’est ce qu’il croit lui ? Que c’est parce que je suis en congé de maternité que je peux choisir mon moment pour faire ça ?
J’ai continué en prenant mon temps et en lui expliquant :
- Ben écoute, si t’as ta promotion, la première chose qu’on fera ce sera d’installer une seconde salle de bain au rez-de-chaussée, promis ! En attendant… vous devez bien avoir des toilettes au boulot ? J’aime autant que ce soit eux qui nettoient derrière toi que moi, tu vois.
Il a pris un air outragé :
- Dis tout de suite que j’en mets partout !
J’ai ironisé
- Partout… peut-être pas. Je me demande parfois s’il y en a quand même dans la cuvette.
Il est parti au travail vexé.
C’est là qu’on voit combien c’est important d’apprendre la propreté aux enfants. Si ses parents l’avaient entraîné à ne pas laisser des flaques dans la salle de bain, s’ils lui avaient dit une bonne fois que le café bu une tasse ça se lave, ça se pose pas sur un meuble, qu’un journal ça se met à la poubelle et un tas de petits détails qui n’ont l’air de rien comme ça mais qui, mis bout à bout… ça ferait qu’à la fin de la journée on aurait pas envie de l’étrangler ou de lui crier dessus comme une harpie : JEAN-PAUL !!! RANGE-MOI CA, JE SUIS PAS TA BONNE !!
Je me demande bien quel temps il va faire aujourd’hui. On parle de fortes perturbations météo dans les jours à venir. A moins que soit encore des histoires pour nous mettre le moral en berne, comme cette maladie inconnue qui m’a fichu une peur bleue alors que j’étais tout bonnement enceinte. Je suis peut-être naïve, comme dit Cécile.
Jean-Paul est rentré du travail plus tôt que prévu affublé d’un costume marronnasse en clamant que ça y était, il avait été nommé responsable de campagne. Je suis sûre que les voisins ont dû l’entendre du bout de la rue. N’empêche, il travaille bien mon Jean-Paul, je suis fière de lui.
Aussitôt on a entrepris un tas de travaux dans la maison. On a installé la cuisine dans la chambre de Chloé, ajouté une salle de bain, retapissé la salle et l’entrée, construit une chambre pour les enfants en bas… pffiou ! Ca nous a pris deux jours. Mais je suis contente du résultat. Et puis Jean-Paul aussi, il va pouvoir inviter des amis, on a de la place à présent.
Tous ces travaux ça m’avait un peu fatiguée si bien que j’ai pas été vraiment surprise que ça m’ait déclenché l’accouchement. Ca tombait plutôt bien d’ailleurs : Jean-Paul était en congés
Un garçon ! C’était un garçon ! Nous l’avons appelé Axel. On commençait à croire qu’il n’y aurait que des filles dans notre quartier, à part Thomas. Il est beau notre Axel et il pèse presque ses 4 kg le petit père.
Je vous dis pas comment Jean-Paul était fier.
- Yesss ! Un garçon ! Et j’ai même pas eu besoin de la recette d’Abdoul ! Je l’ai fait tout seul.
Je sais pas ce que c’est cette histoire de recette, mais quant à l’avoir fait tout seul, il exagère. J’y suis peut-être un peu pour quelque chose aussi.
J’ai relevé :
- Je sais pas si tu l’as fait tout seul celui-là chéri, mais à mon avis il me ressemble : Il a mes yeux.
En fait, il ressemble beaucoup à Chloé, ils ne sont pas frère et sœur pour rien. Et comme ma petite Chloé est la plus jolie bambine que je connaisse…
Un bébé, ça demande pas mal d’attentions. On avait un peu peur que Chloé se sente délaissée, alors, on a adopté une chatte. Elle s’appelle Câline et elle porte bien son nom : elle adore les câlins. Et comme notre Chloé c’est une miss câlins je vous dis que ça, elles sont faites pour s’entendre ces deux-là.
On a choisi Câline parce qu’elle était belle et affectueuse. -Moui, là sur la photo, c’est pas sa beauté qui frappe-. Mais elle n’a aucune éducation : Elle grimpe sur les meubles, saute sur le lit, griffe tout ce qui lui tombe sous la patte. Ca met Jean-Paul dans des rages folles.
Il passe son temps à lui faire la leçon.
Si bien que la chatte peut plus le souffrir. Elle s’est jetée sur lui l’autre jour toutes griffes dehors comme une furie. Je me demande si on aurait pas encore mieux fait de choisir un chien, finalement.
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En tant que chercheur sur le terrain, Joë avait découvert que le virus de la maladie inconnue était lié à l’apparition des cafards dans les quartiers populaires. Il n’hésitait pas à se rendre dans ces quartiers pour découvrir la source de cette invasion de cafards et s’orientait vers le manque d’hygiène des habitants. Il avait d’ailleurs donné une conférence sur ce thème et fait l’admiration de ses collègues qui n’avaient jamais fait le rapprochement. On l’avait aussitôt bombardé professeur. Sa maison témoignait de sa réussite professionnelle, c’était l’une des plus grandes et des plus belles du quartier
L’éminent professeur Tudy redevenait un homme ordinaire lorsqu’il rentrait chez lui et passait beaucoup de temps à jouer avec la petite Audrey. Comme il l’avait expliqué à Mandy :
Le meilleur moyen d’éduquer les enfants, c’était la méthode ludique. Il lui avait offert tous les jeux éducatifs existant sur le marché et ils lui servaient de support pour des cours particuliers. Le jeu d’encastrement avait ses préférences. Grâce à lui, Audrey savait reconnaître les triangles des carrés ou des rectangles. Elle connaissait toutes les couleurs et savait déjà compter jusqu’à dix.
De cette relation fusionnelle qu’il entretenait avec sa fille, Mandy se sentait un peu exclue mais elle avait toujours rêvé d’avoir des enfants sur-doués et elle avait fait confiance à Joë pour réaliser son rêve. Il n’empêche que la petite ne jurait plus que par son papa et Mandy commençait à se demander si ça n’avait pas été une erreur.
Elle avait bien essayé d’en parler avec lui :
- Joë, je suis quoi moi dans cette maison ? C’est toi qui as appris la propreté, le langage et la marche à Audrey. A présent, tu lui apprends à compter, tu lui fais la lecture, tu lui montres à jouer du xylophone et moi je suis juste bonne à préparer les repas et à vider le pot de chambre.
Il ne voyait pas le problème.
- Mais Mandy, tu es sa maman, une maman c’est irremplaçable.
- Irremplaçable, tu parles ! N’importe quelle nounou est capable de faire ce que je fais, avait-elle constaté d’un ton amer.
- Ne sois pas stupide, avait rétorqué Joë. Toutes les mamans font ça.
- Oui-mais, elles ne font pas QUE ça ! De qui se souviendra-t-elle plus tard ? De toi, uniquement de toi ! Est ce que ça compte le nombre de fois où j’aurais vidé le pot de chambre ? C’est pas impérissable, ça comme souvenir !
- Tu cherches quoi là ? A me culpabiliser ? avait répondu Joë.
C’est dans ce climat de tension qu’Audrey allait fêter son anniversaire. Quand Mandy était allée la chercher pour souffler les bougies, la petite avait réclamé son père
- Nan, papa ! Les bougies c’est papa !
Mandy l’avait empoignée et avait tenu bon.
- Ca sera MAMAN, que ça te plaise ou non !
Et Joë avait plaidé sa cause.
- Sois mignonne Audrey, tu peux bien faire plaisir à maman.
Plus pour faire plaisir à papa qui le lui demandait, qu’à maman qui le lui imposait, Audrey accepta de souffler ses bougies.
Et elle devint une très jolie gamine, la petite chérie à son papa.
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